Abdallah Arafa
La peinture d’Abdallah Arafa n’est pas du grand art, comme disent les experts. Il ne sera peut-être jamais exposé dans une galerie, ni grande ni même petite. Mais cela n’a pour lui aucune importance. La seule chose qui compte est qu’il parvient, ainsi, à faire vivre sa famille, son épouse et ses quatre enfants, dont deux d’un précédent mariage.
Si vous passez par le Rond-Point des Sports, ouvrez l’œil. Ne vous laissez pas impressionner par les panneaux publicitaires géants qui se bousculent dans le périmètre et recherchez plutôt les couleurs des tableaux signés Arafa. Sa peinture est inclassable, entre figuratisme surréaliste et expressionnisme abstrait. Elle se distingue pourtant, au-delà de la solidité et de la puissance de certaines de ses compositions, par une certaine naïveté et par une fraîcheur certaine. Avec souvent des fulgurances remarquables et des harmonies inédites.
Pourtant, c’est clair, Abdallah n’a pas la vie facile. Le métier de peintre des rues n’est certes pas une sinécure. Il confirme : «Si je ne vends pas de tableau, je n’ai pas de quoi vivre. Des fois je vends et d’autres fois, rien. Mais c’est là désormais mon unique gagne-pain».
Cela fait un an qu’il s’est mis à la peinture. Après un parcours de près de trente ans qui l’a conduit des portes de l’orphelinat où il a grandi à Agadir, Marrakech, Tanger et sur la méditerranée en qualité de moniteur de planche à voile ou d’animateur de vacances.
«Sept métiers et je passe la nuit sans manger»… Abdallah Arafa ne craint pas d’ironiser sur sa situation mais cela ne dure qu’un instant. Volontiers, pour peu du moins que vous lui témoigniez de l’intérêt, il raconte l’histoire de sa vie. Elle finira sans doute d’ailleurs par lui inspirer des tableaux.
A seize ans, ayant quitté le lycée, il cherche du travail pour aider sa mère, veuve depuis une dizaine d’années. Il devient apprenti-artisan dans une échoppe de l’ancienne médina de Casablanca, pour 10 Dh par semaine et 50 centimes par jour pour déjeuner. Il y fera l’acquisition du savoir-faire qui lui permettait il y a encore deux ans de réaliser des objets en métal qu’il vendait pour subsister.
Un jour, un peu fatigué de ce travail de misère, il apprend qu’un garage vient d’ouvrir, tenu par un Français et que ce dernier cherche un apprenti. Il passera près de deux ans dans ce second métier, qui le conduira au poste de magasinier d’un important concessionnaire automobile. C’est là qu’il fait la connaissance d’un certain Andreï Kochanski, qui rêve de fonder une école de planche à voile à Agadir. Nous sommes en 1978, Abdallah accepte l’offre que lui fait son collègue et accepte de se dévouer au projet. Deux ans plus tard, on le retrouve à Tanger, puis Marrakech, au service d’une chaîne hôtelière qui lui a confié la tâche d’animer les vacances de ses clients. «C’était mes années dans le tourisme», ponctue Abdallah, qui évoque avec nostalgie son passage à bord d’un navire de croisière entre les deux rives de la Méditerrannée. Puis il y eut les années dans l’édition, deux ans passés à vendre des encyclopédies en porte à porte, puis à assister l’équipe commerciale du magazine Kalima.
Fin des années 80. Rescapé de bien des passions, l’enthousiasme intact malgré tous ces vents qui surviennent et détournent le cours de son bateau, Abdallah trace sa vie comme il peut. Ce seront d’ailleurs à partir de là vingt ans de galère, de petits boulots et d’argent au compte-gouttes. Mais il faut croire que goutte à goutte également, l’art distillait en lui le flot qu’il libère aujourd’hui à chaque tableau qu’il peint. Car lorsqu’il était enfant, reconnaît-il, le dessin et la peinture ne l’attiraient pas particulièrement.
«Je me suis mis à la peinture il y a un an, c’est venu comme ça un beau jour et depuis je m’y consacre entièrement. Mon premier tableau m’a demandé un mois de travail, je pensais ne jamais en voir la fin tellement j’avais du mal à me satisfaire de ce que je faisais». Jusqu’au jour où il vend pour la première fois, ce qui lui rapporte 1500 dh. A ce moment-là, il se dit que Dieu lui a fait un don, que depuis il cultive avec assiduité.
Quand il n’est pas posté au Rond- Point des Sports, pas loin d’une concentration de galeries d’arts et de magasins de luxe qui lui garantissent un achalandage de qualité, Abdallah travaille dans son atelier du quartier Bachkou, côté bidonville: son chez lui en réalité, son univers familier dont il est fier à sa manière. Celle des artistes qui portent suffisamment de beauté en eux pour ne pas se laisser influencer par les laideurs de la vie.
La preuve ? Nombre de ses compositions portent le même titre générique : «espoir». Si vous passez par le Rond-Point des Sports et que vous le rencontrez, arrêtez-vous donc pour voir.