Abdellatif Ben Najem
Hommage de Philippe Guiguet-Bologne au peintre à Abdellatif Najem:
On soulevait quelques assiettes encastrées les unes dans les autres depuis l’éternité, on dépoussiérait une jubana de valeur, on ouvrait avec difficulté une boite marquetée à Damas et on demandait soudain, avec quelque distance dans le ton, ce qu’il en était des derniers sous-verre peints par le bazariste qui, sur le champ dès que l’on abordait ce sujet, se métamorphosait. Il devenait alors artiste, il devenait tribun. Et avec une fougue qu’on n’aurait pu lui soupçonner, il déballait, expliquait, montrait, désignait, paraphrasait ses œuvres qui le comblaient d’une fierté sans équivoque. Il devenait lui-même, le vrai, le vivant que la poussière du bazar aurait pu avoir caché. Et c’est alors que vous prenant par la main de ses récits enthousiastes, il vous emmenait dans ce même Maroc dont il avait fait de sa boutique et de son savoir-vivre une vitrine. On s’envolait alors pour des placettes aux fontaines bruyantes, on fréquentait une soldatesque rifaine aux traits dénonçant de terrifiantes férocités, on croisait des jeunes femmes voilées aux regards brûlants, des porteurs d’eau atemporels, des imams immobiles dans leur sagesse et leur dignité, des cavaliers prêts à reconquérir toutes les terres occupées et des enfants apprêtés pour la photo qui donnera la peinture sous-verre… Tout un monde, d’antan comme on dit, un album du temps passé, mais de ce temps vécu et qui se perpétue encore et toujours de nos jours. De culture, d’une culture classique il s’agit, bien plus que de folklore.
L’immobilité naïve des premières œuvres laissa petit à petit place à un travail s’inscrivant de plus en plus dans le mouvement, à la fois signe de maturité et d’une modernité pressentie. Et signe de même que sous leurs airs d’artisanat, les sous-verres d’Abdellatif Najem étaient aussi, à leur manière, autant d’œuvres d’art où la forme était réfléchie, où la forme était objet de questionnements et de réponses tout en tâtonnements. Bien entendu, nous sommes là dans ce Maroc naïf où le pittoresque est tout de douceur dans le ton et de contrastes néanmoins brutaux, transcrit dans une forme toute naïve, bien entendu… Mais d’une naïveté l’autre, en repensant à sa boutique, à la rue où s’ouvrait cette échoppe, voire à sa maison, c’était son monde, entièrement son monde, présent, bien réel et ancré dans ces simplifications mais encore dans ses complexités, qu’Abdellatif Najem racontait. Cosmogonie. »
Source: Tanger-Experience
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