Aissa Ikken
Aissa Ikken refait surface sur la scène plastique avec des œuvres qui mettent, encore une fois, en relief la passion de l’artiste pour le signe. Une affection qui remonte à son enfance. En fouillant dans sa mémoire, Aissa Ikken n’a-t-il pas expliqué un jour qu’il a été marqué par trois éléments essentiels qui ont jusqu’à maintenant de l’influence sur son travail artistique ? Il s’agit des contes de son grand-père, des tatouages et des tissages de hanbals de sa grand-mère.
Ce sont ces traits et signes en couleurs qui l’ont affecté et continuent de l’habiter pour se manifester dans son travail artistique, représentant pour lui tous les sentiments que peut ressentir un être humain. Tel un historien ou un archéologue qui va à la recherche de l’histoire là où elle se trouve pour en déceler les secrets et la force. Tout en restant en relation avec sa mémoire et son enfance, il exhibe ce qui est enfoui dans sa mémoire depuis de longues années. C’est ce qui rend spécifique sa peinture parmi les autres styles et écoles. Et c’est là où réside sa force plastique : dans le fait de posséder sa propre conception d’art poétique qui exprime le rapport de l’homme avec son destin.
Étant lui-même poète, une douce poésie se dégage des œuvres d’Aïssa Ikken. Son œuvre paraît, a priori, indéchiffrable aussi bien pour ce qui est de la composition spatiale d’ensemble, de la structuration des sous-espaces les uns par rapport aux autres, de la forme de signes utilisés, de leur nature que des rapports de couleurs, ocre, marron, bleu et noir pour l’essentiel, de la palette. Chacun sent bien que des messages lui sont adressés, même s’il ne peut pas les interpréter immédiatement. Il y a donc là une convergence, au moins partielle, avec le lettresisme ou avec la «hurûfiyya» qui procède de même avec la lettre arabe, la rendant illisible à chacun pour qu’elle soit lisible par tous, y compris les non-arabophones. Les types de signes de Aissa Ikken sont plus artistiques que décoratifs. Car, comme l’ont dit beaucoup de critiques, l’œuvre de l’artiste se construit autour d’un secret. Elle fait ressurgir des traces du passé, restituant les souvenirs des signes délaissés ou oubliés. Des signes issus de la culture amazighe sont disséminés dans l’espace ou agglutinés. Ils sont agrandis, déformés ou minimalisés par l’artiste.
«Les signes berbères ont été mes premières empreintes, ils m’ont donné l’amour du dessin. Tout territoire porte un héritage qui ne meurt pas, mais évolue pour donner d’autres héritages. Tout se tient, tout est un. C’est peut-être le sens de mon œuvre», précise Aissa Ikken. Des éléments s’harmonisaient certainement avec sa mémoire collective qui avait déclenché en lui un besoin d’expression. «Cette expression s’est formée dans le terroir, dans cet environnement culturel, pouvant paraître comme brut, mais qui est chargé d’un grand héritage de plusieurs siècles, amputé parfois ou sauvegardé, mais profondément lié à notre personnalité. Bien entendu, tout héritage est évolutif. Il cumule les apports des autres cultures, de l’expérience, de la découverte, de l’ouverture sur l’autre», explique-t-il.
D’où son intérêt pour tous ces signes : tatouages, alphabet tifinagh, signes des tapis, des murailles du Sud, les zelliges, les arabesques, les bijoux… «Le signe s’affirme par son expressivité en prenant son indépendance par rapport aux signes trop identitaires du passé. Il déclenche au niveau de l’imagination des rappels d’images qui intriguent le regard, l’interpellent ou le transportent dans des lieux qui lui sont familiers, mais qu’il n’arrive pas à décrypter. Le signe émigre, de ce fait, de son contexte local vers un contexte universel, en ouvrant d’autres horizons au rapprochement des cultures et à la connaissance humaine», renchérit-il.