Fatna Gbouri

Fatna Gbouri est née à Tnine Gharbia, un petit village de la province de Safi, en 1924. Comme toutes les femmes de sa campagne, elle travaillait la terre et tissait des tapis. C’est en 1984 qu’elle commence à peindre, encouragée par son fils, Ahmed Mjidaoui, lui-même artiste peintre. Depuis lors, elle a participé à de nombreuses expositions individuelles et collectives, dans différentes villes du Royaume ainsi qu’à l’étranger. Adepte de l’art populaire et élevée dans un milieu porté sur la peinture, elle se met spontanément à faire chanter le pinceau dans un registre naïf. C’est ainsi qu’elle a pu forger un style non convenu, en mettant en scène des séquences narratives peuplées de personnages hauts en couleur. Elle est parmi les porteuses au grand cœur d’un art singulier qui a permis à la peinture contemporaine marocaine de franchir allègrement les frontières. Fatna Gbouri, qui a déjà exposé à Tanger, Safi, Casablanca, en France, en Allemagne, au Portugal, aux Émirats arabes unis, met à notre disposition un patrimoine artistique d’une grande valeur, qui force le respect et l’admiration.

Les mains frêles de Fatna Gbouri ne toucheront plus le pinceau et ne déposeront plus sur les tableaux les motifs qui en ont toujours fait des œuvres d’une rare beauté. La grande dame a tiré sa révérence vendredi 27 janvier à l’âge de 88 ans, laissant derrière elle un legs fait d’œuvres, réalistes et poétiques, qui font aujourd’hui partie du patrimoine culturel marocain. Grande figure de l’art naïf au Maroc, mais aussi à l’étranger, Fatna n’a pas connu la reconnaissance qu’elle méritait réellement. Son talent et sa créativité, qui n’avaient d’égal que son attachement à ses racines, la prédestinaient à une carrière similaire à celle d’une Chaïbia mondialement connue. Néanmoins, notre artiste travaillait en toute discrétion et évoluait doucement sans trop de bruit. Polyvalente, dame Gbouri touchait à plusieurs genres. Tapisserie, céramique et peinture n’avaient pas de secret pour elle.

lle éclaboussait ses tableaux de couleurs criardes, de signes et de motifs inspirés des scènes de la vie traditionnelle au Maroc. Tel un enfant, elle peuplait l’espace de la toile de dessins tout en fraîcheur et en gaîté. N’ayant jamais été initiée aux principes les plus élémentaires des arts plastiques, Fatna puisait au fin fond de sa mémoire les images et paysages qu’elle couchait, non sans génie, sur ses tableaux. Obéissant à sa seule fantaisie, elle se laissait guider par la pulsion du moment pour exorciser les démons qui l’habitent. Eh oui, la peinture était érigée par Fatna Gbouri en véritable thérapie.
N’est-ce pas grâce à cet art qu’elle a réussi à sortir de sa mélancolie après le décès de son mari ? Quoique s’y mettant tardivement, soit en 1984, à l’âge de 59 ans, l’artiste a su rattraper le temps perdu en produisant des œuvres d’une rare beauté. Le mérite de cette «conversion» revient en fait à son fils, Ahmed Mjidaoui, lui-même professeur d’arts plastiques et artiste peintre, qui l’a encouragée à donner libre cours à la vocation qu’il a décelée en elle.

«Après le décès de mon père, elle était triste et solitaire. Quand je l’ai vue comme ça, je lui ai donné un plâtre, un pinceau et des gouaches et lui ai demandé de dessiner quelque chose. Elle a représenté une femme tissant un tapis. C’est une œuvre de toute beauté que je garde précieusement», confie Ahmed.
Dès les premières œuvres, le talent de l’artiste s’est révélé. Le verdict était sans appel : Fatna Gbouri est incontestablement une peintre née. Au fil des années, la réputation de cette native de Tnine Gharbia (province de Safi) prend de l’ampleur. Sa virtuosité lui vaut ainsi le surnom de «la mémoire de Safi». Ses tableaux sont à son image : simples, authentiques et spontanés. Aujourd’hui, le paysage culturel est en deuil. Avec la disparition de cette grande artiste, une page de l’histoire picturale du Maroc est tournée. Tournée, mais pas du tout oubliée.

Source: Le Matin

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