Hassan Echair
Fidèle à son style, Hassan Echair crée au rythme d’une longue réflexion sur des thèmes humains tels que l’énergie créatrice, la liberté, le pouvoir, l’éphémère, l’identité, sans pour autant négliger le médium, l’objet identifiable ou non, voire la matière, le temps et la mémoire.
Or, le dit dytique peut se combiner au gré de la volonté de l’artiste lors de l’accrochage.
L’œuvre en question suggère, à l’horizontal, un parallélisme, une égalité de statut /stature; mais l’artiste a prémédité l’inégalité dimensionnelle des deux toiles et donc une « conformité impossible » des deux contenus, pourtant identiques. Aussi, l’accrochage des deux parties du dyptiques à la verticale, la petite dimension en haut, traduit- il une pression vers le bas. Hormi le souci de l’harmonie visuelle, ce choix va dans le sens d’un poids opressif, voire tyrannisant.
Bâtons de tailles inégales attachés à des cordes. Entre les bâtons l’artiste a placé des miroirs épousant exactement le vide en forme de trapèzes.
Le choix du noir et du blanc comme « couleurs »; et la forme géométrique est intentionnel: Hassan Echair veut – peut-être – nous montrer que, bien qu’un miroir ait pour fonction de refléter fidèlement ce qui se place devant lui, l’essence de ce qui s’y reflète est un mirage. En ce sens, le miroir est un miroir aveugle, car, comme l’exprime très bien l’artiste et écrivain Jean Luc Parant dans un ouvrage portant le titre de Miroir Aveugle, et dans lequel l’écrivain s’interroge sur sa vie, l’origine des yeux et des boules qui hantent son œuvre. L’extrait suivant illustre notre embarras commun, devant une expérience humaine répétée chaque jour.
« On m’a menti, on m’a dit que c’était moi dans la glace, que j’étais cette image intouchable, ce reflet insaisissable que l’on ne peut pas atteindre, moi qui suis si proche de moi, qui me touche, qui me sens, moi qui suis si fragile, qui ai mal au moindre choc, qui saigne à la moindre blessure, qui m’abîme tous les jours, qui vieillis et qu’un jour, serai mort et qui ne serai plus que quelques os, un petit tas de poussière sur la terre. »
Décidément, deux entités présentes dans l’œuvre de Hassan Echair nécessitent un arrêt complet: l ‘échelle et le miroir.
L’échelle, pour les férus de l’histoire des religions, renvoie à l’épisode biblique de l’échelle de Jacob (Genèse, 28: 11-19). Jacob fuit la maison paternelle à la suite de la ruse qui lui permit de recevoir la bénédiction de son père Isaac; bénédiction qui revenait de droit à son frère Isaù qui le menaça de mort.
Sur son chemin vers Haran, ville d’origine de sa mère, il eut un songe. Cet épisode fut le thème plastique pour beaucoup d’artistes, durant des siècles (Giorgio Vasari, Gustave Doré, Salvator Rosa, etc.)
Les uns emploient des escaliers, les autres, des échelles. Dans tous les cas, l’échelle symbole l’élévation spirituelle, les étapes que l’âme doit franchir pour s’élever. Le choix de cet objet a un sens objectif: en effet, une échelle s’appuie d’abord sur le sol et monte dans les airs. Il n’a alors que le Ciel comme appui et revêt alors le caractère tangible comme les autres objets matériels. Ainsi, l’échelle relie-t-elle les mondes terrestres et célestes. Les échelons d’une échelle correspondent aux niveaux qu’on doit passer étape par étape.
Et, préoccupé comme d’ailleurs beaucoup d’intellectuels par la problématique de la communication et l’intercompréhension culturelle des deux communautés vivant dans les deux rivages, Maroc et Espagne, pays phares de la Méditerranée, Hassan Echair insiste sur ce déséquilibre communicationnel opérant dans les rivages géologiquement quasiment identiques. Car, pour pouvoir revendiquer un voisinage fraternel, ayant une histoire multi-millénaire et une culture commune, ce n’est pas à l’égalité qu’il faut faire appel, mais à l’équité. Autrement dit, rendre à César ce qui est à César, et à Dieu, ce qui lui revient de justice.
Mais pour accéder à ce niveau de conscience intellectuelle, juridique et stratégique, il est de mise de se remettre en question soi même; revoir ses comptes propres et se voir, comme dans un miroir, comme tel. Le miroir, en tant que symbole, est le moyen par lequel l’artiste montre l’invisible, l’inaperçu sous l’angle du point de vue du peintre, photographe ou spectateur. C’est le symbole par excellence.
Révélation du Moi dans le Narcisse du Caravage, présence effective des témoins dans le tableau de Van Eyck, les époux Arnolfini, moyen de montrer les deux visages de la Prudence chez Bellini. Dans la Madeleine Pénitente de George de La Tour, le miroir inaugure non pas la perspective déjà maîtrisée, mais la mise en abîme. Le personnage de Madeleine passe au delà de la réalité ancienne révélée par le miroir, au delà aussi de l’objet de la vanité, le crâne humain, éclairé par le chandelier. Les autres artistes
ayant fait appel au miroir, l’ont conçu pour exprimer d’autres idées, d’autres problématiques ou prouesses stylistiques.
C’est le cas par exemple de Picasso pour qui, le miroir est révélateur de formes et de couleurs; pour Dali qui tente une expérience inédite: application de la stéréoscopie dans la toile représentant de dos Gala. Dali emploie deux images prises avec deux cameras. L’épreuve consiste à superposer deux points de vue résultat du phénomène optique appelé parallaxe. Le miroir demeure encore une source d’idées riche en matière de création et d’installation.
Et, grosso modo, du fait que le miroir est un objet optique, il ne cesse d’interroger le pouvoir mimétique de la peinture. Placé dans une composition plastique en deux ou trois dimensions, il ouvre l’espace dans un mouvement de regard allant vers le spectateur. Sa circonscription par un cadre délimite d’autres espaces en les intégrant dans celui du tableau. Cependant, l’usage fait du miroir dans l’œuvre de Hassan Echair est à assimiler comme une invitation à la remise en question de nos propres convictions en matière de communication interculturelle, voie royale vers l’intercompréhension des politiques et des peuples.
Source: Albayane Presse
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