Khlafa El Badaoui

A la mémoire de feu Khlafa El Badaoui

Né à Souk Larbaâ el Gharb en 1934, Khlafa el Badaoui dessinait depuis son jeune âge. Très tôt, il perdit sa mère, ce qui le priva d’une enfance et d’une scolarité normales. Il devint berger. Son amour pour le dessin ne faisait que grandir avec lui. Bien plus tard, des artistes peintres français le remarquèrent et s’intéressèrent à lui. Pour Khlafa, c’était une aubaine. Parmi les rencontres qu’il fit, celle d’Untellini, un Français qui l’adopta. En même temps, il fit la connaissance d’un certain Sibérose qui travaillait dans la décoration. A ses côtés, Khlafa améliora sa façon de marier les couleurs et apprit de nouvelles techniques picturales qui allaient lui servir. Grâce à Paillard, un peintre orientaliste en vogue à l’époque, je jeune artiste aura la chance s’être introduit dans le milieu artistique français installé au Maroc, où il fraya avec d’importantes personnalités.

A vingt ans, ses amis français lui organisèrent une première exposition à Casablanca, place de Bani Marouk, une exposition qui attira beaucoup de monde et où il y eut des ventes.


A l’approche de l’Indépendance, Khlafa  habita Casablanca où allait débuter réellement son parcours d’artiste. Il se fit connaître de plus en plus des milieux intellectuels et réalisa à cette époque une grande toile d’inspiration nationaliste, qu’il intitula « Le Maroc Nouveau », offerte à feu le Roi Mohammed V dès son retour d’exil, par l’intermédiaire de Bargach, alors gouverneur de la capitale économique. C’était une carte géographique sentimentale, aux couleurs enthousiastes et significatives. Khlafa fut reçu au Palais Royal de Skhirate, honoré et gratifié à bon endroit. On lui octroya en plus un poste au ministère de la Jeunesse et des Sports, où il joua le rôle d’encadrant.
Huit ans après,  il abandonna le ministère pour ne plus se consacrer qu’à son art. Parmi les distinctions qui ont couronné sa carrière, la reconnaissance par l’UNESCO de Khlafa comme un des précurseurs de l’art au Maroc. A cette époque, il fréquentait d’autres artistes qui l’agréèrent comme Ben Ali R’Bati, Jilali Gharbaoui, Gaston Mantel. De même, il avait animé des ateliers de la jeune peinture, où figurèrent de futurs noms artistiques comme B. Falaki, Med Laraïchi, A. Fninou, etc.
Khlafa el Badaoui avait donné plusieurs expositions notamment à Casablanca. Quelques-unes de ses œuvres se trouvent en collection aux Emirats Arabes Unis, beaucoup chez des particuliers au Maroc, d’autres en possession de l’association des Anciens Elèves de Casablanca, à la salle de la Coupole.
En 2010, suite à une longue maladie, Khlafa décéda le 9 août à Meknès où il avait fini par s’établir. Il était resté célibataire.

La figuration de Khlafa, au plan des thèmes comme de la technique, fait passablement écho à l’école orientaliste dont les étrangers qui vivaient alors au Maroc représentaient chacun à sa manière la (ou les) tendance (s). A cette différence près que Khlafa évitait d’exotiser outre mesure, en se situant sous un point de vue purement pictural, concernant les couleurs  et les scènes, comme le ferait un peintre naïf : les œuvres de Khlafa n’ont pas un caractère d’études, mais semblent des productions interprétées in situ et travaillées à coups de touches et de tons pris sur le vif. Ce qui fait de l’artiste l’auteur d’une certaine réalité marocaine que nous pouvons considérer aujourd’hui comme un document. Réalité d’un Maroc du peuple, des anciennes médinas pittoresques et intimes, d’un sud lumineux et contrastant, dont Khlafa celèbre les diverses activités quotidiennes ou occasionnelles : scènes de marché, vues de ports, ruelles passantes, scènes festives, d’intérieur, etc., une série de thèmes encore très visités de nos jours, et apparemment à la matière inépuisable.


Sans doute, l’intérêt de cette création réside-t-il d’abord dans l’évidence du talent que possédait Khlafa, puis, avec le recul, dans son harmonie avec le contexte social qui l’avait vu naître, enfin dans son originalité comme langage personnel d’une individualité non compromise par le diktat étranger et les conjonctures historiques que subissait alors le Maroc colonisé. Ce qui ne veut pas dire une individualité non concernée par les événements qui avaient lieu. Khlafa peignait le Maroc qui était totalement le sien, d’où la présence dans ses scènes d’une sentimentalité de bon aloi, identitaire et identifiée avec le temps comme étant une forme de revendication intérieure. Au-delà des considérations théoriques que pourrait susciter ce genre de travail, Khlafa a le mérite de renouer le spectateur avec un passé tant social qu’atmosphérique, qui continue de dialoguer avec le présent.

Abderrahmane  Benhamza ( Poète et critique d’art)

Palettes en dialogue

On pourrait intituler aussi « Florilège pictural » l’exposition collective qui se tient à la Cathédrale sacré-cœur de Casablanca, du 5 au 14 juillet 2012.
Cette exposition réunit des artistes ayant chacun son style et sa technique propres, dont feu El Badaoui Khlafa, mort en 2010, de qui nous avons eu l’occasion de dire qu’ »il est l’auteur d’une certaine réalité marocaine que nous pouvons aujourd’hui considérer comme un document. Khalafa a peint le Maroc qui était totalement le sien, d’où la présence dans ses scènes d’une sentimentalité de bon aloi ayant une forme de revendication identitaire ».
Il s’agit ensuite d’Abdallah Fninou, collectionneur en plus (il possède entre autres peintres de renom des A. Cherkaoui et des J. Gharbaoui), qui expose depuis les années 80, souvent en groupe, jusqu’à sa dernière manifestation individuelle à l’hôtel Art Place cette année. Disciple de Khlafa, come il aime le reconnaître et ayant assisté ce dernier jusqu’à son dernier souffle, Fninou est ce qu’on pourrait appeler un original. A mi-chemin entre l’abstraction et la figuration, cet artiste casablancais né en 1957 recourt à une technique de camouflage, de la déviation visuelle, autant dire d’un trompe l’œil accentué par une manière de relief qui verse dans le matiérisme. Voici un introverti qui demande à l’image réelle de se convertir en métaphore sinon en illusion. Cela se remarque dans sa gestualité lyrique qui s’attache à embrumer autant que possible l’aspect concret des choses, tels les impressionnistes traitant essentiellement des formes. Le support est de préférence la toile de jute, ce qui, selon l’artiste, enrichit en la complexifiant la réception de la matière mais répond cependant, à s’y méprendre, à ses exigences allusives et connotatives.
Figuratif mais se réclamant de l’abstraction comme antithèse dynamique, et réciproquement, Fninou cible mouvement qui détermine la composition à la fois graphique et chromatique. La toile doit vibrer à ses coups de pinceaux fébriles et nuancés ; c’est que l’idée d’harmonie visuelle prime chez ce créateur aux prises avec ce qui serait des hallucinations naturelles, des fantasmes abstractifs à saisir et à projeter dans une espèce d’absolu rassurant. Fninou transcende certes la réalité perçue sous le prisme du regard, pour en faire une vision euphorisante, un grouillement de formes indéfinies, et c’est à travers cette exaltation, cette effusion des sens traduits lignes, couleurs, formes, matière lumière, volumes, etc. Que son langage plastique prend de la valeur.


Invitée d’honneur de cette exposition, la jeune plasticienne Ilham Laraki Omari, qui vient d’ouvrir une nouvelle galerie au quartier Racine appelée « Mine d’art », est plus à l’aise dans l’abstraction et les couleurs chaudes, puisant sa manière dans la décoration architecturale et les motifs patrimoniaux traditionnels. Ilham étonne par le choix de ses couleurs dont elle orchestre les tonalités et la lumière qui joue énormément dans cet univers intimisé, où les contrastes, allant du noir au rouge, assurent une meilleure visibilité de l’espace et des choses. Ilham entreprendrait une recherche à résonance identitaire, à travers ses évocations graphiques, ses touches et son gestualisme...
Nous découvrons en même temps les œuvres de Qassi Abdessadek, la soixantaine, qui avait d’abord évolé en Occident, et que le public est invité à découvrir dans sa troisième manifestation au Maroc. Abstrait comme le sont Mohamed Bennani Moa ou le jeune Ahmed El Hayani, Qassi est un artiste du mouvement, de la fulgurance chromatique et de la couleur quand il la réduit à sa pureté expressive. Sensations et évocations se bousculent dans son œuvre. La technique révèle une sensibilité moderne à caractère paysagiste abstrait, avec une légère propension à la contemplation mystique. Chaque œuvre fait écho à l’ensemble. Il en ressort une esthétique qui doit beaucoup à l’imagination créatrice de l’artiste.
Abderrahman Benhamza

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