Lalla Essaydi
L’art de Lalla Essaydi explore l’intersection entre la condition des femmes et les questions liées à l’intimité, l’histoire, la culture et la politique. Son œuvre, profondément marquée par sa vie transnationale, examine les limites de l’espace physique, social et psychologique pour les femmes issues de la communauté musulmane. L. Essaydi naît non loin de Marrakech dans une famille musulmane traditionnelle et s’installe avec sa propre famille en Arabie saoudite. Sa carrière artistique débute lorsqu’elle étudie, à l’âge adulte, la peinture à l’École des beaux-arts de Paris au début des années 1990. Elle est tout ensemble fascinée et dérangée par les tableaux orientalistes du XIXe siècle qu’elle voit dans les musées de la capitale. Elle s’installe ensuite aux États-Unis et s’inscrit en premier cycle à la Tufts University de Medford avant d’obtenir un master d’arts plastiques à la School of the Museum of Fine Arts de Boston en 2003. C’est à cette époque que la photographie devient un moyen d’expression central dans sa pratique.
L’artiste revient au Maroc de son enfance, à la fois géographiquement et conceptuellement, dans ses tableaux photographiques de grande envergure, méticuleusement conçus, qui déconstruisent les stéréotypes de l’orientalisme : le voile, l’odalisque et le harem. Elle écrit à ce propos : « Je veux que les spectateurs qui regardent mes tableaux et mes photographies prennent conscience que l’orientalisme est une tradition voyeuriste. Cependant, je veux aussi qu’ils apprécient la beauté de la culture que j’y représente. » En 2010, le musée du Louvre fait l’acquisition de sa photographie La Grande Odalisque (2008) et l’expose en la faisant dialoguer avec la version de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867).
L. Essaydi est principalement connue pour ses séries de photographies dans lesquelles elle associe l’écriture, le corps féminin voilé et les intérieurs intimistes. Elle prend pour modèles des femmes marocaines, principalement des proches ou des amies, et utilise le henné pour inscrire sur leurs corps, sur leurs vêtements ou dans le décor des éléments de calligraphie arabe, mêlant ainsi deux langages visuels traditionnellement genrés en un texte immersif quasiment illisible. La façon de se déplacer dans l’espace, que ce dernier soit architectural ou métaphorique, privé ou public, constitue un élément clé de la manière dont L. Essaydi explore le domaine du genre. Dans deux de ses premières séries photographiques, The Three Silences (2002-2003) et Converging Territories (2003-2005), l’artiste choisit pour cadre une maison abandonnée qui appartient à sa famille, au Maroc, et où sont isolées des jeunes femmes ayant transgressé les mœurs traditionnelles en vigueur. Pour Les Femmes du Maroc (2005-2009), qu’elle réalise cette fois-ci dans son studio à Boston, ses modèles, voilées, sont figurées dans des compositions directement inspirées des chefs-d’œuvre orientalistes dans une intention de réappropriation, de remise en question et de mise à nu des fantasmes des artistes masculins occidentaux. Elle dépasse ensuite les frontières de l’intime pour s’attaquer aux thématiques historiques et nationales dans sa série Harem (2009-2010), qu’elle met en scène dans les harems aux décors resplendissants du palais Dar al-Basha du pacha Thami el-Glaoui, aujourd’hui classé monument historique. Dans l’une de ses séries les plus récentes, Bullets (2011-2012), elle se sert de douilles de balles pour former des mosaïques dorées autour de ses modèles, et s’inscrit ainsi dans un cadre géopolitique plus large et une violence plus explicite. Dans toutes ses images, L. Essaydi montre des femmes qui défient le public par leur assurance et par leur maîtrise de l’espace qu’elles occupent.
Revisions, la première rétrospective majeure de l’œuvre de L. Essaydi, est organisée par Kinsey Katchka au National Museum of African Art de la Smithsonian Institution, à Washington, en 2012-2013, et présente pour la première fois un ensemble de peintures, de photographies et d’installations multimédias. L’artiste a ensuite fait l’objet d’expositions individuelles au San Diego Museum of Art en 2015 et au Newport Art Museum en 2018-2019.