Elle est une artiste élue. Une artiste dont la singularité qu’on peut qualifier sans frémir de rayonnantes’est forgée des attraits qui ne courent pas les cimaises depuis des décennies. Elle qui fût la première artiste femme (oumusulmane comme aiment la taxer les pisteurs d’art marocain occidentaux). Autodidacte d’abord puis lauréate de l’école d’art de Madrid. Tous les passionnés connaissent ce parcours atypique. Ses œuvres en témoignent de plus belle où la palette instinctive de l’œil illuminé voisine avec la palette savante passée par la moule du regard exercé à la fréquentation des œuvres des maîtres.
Ils connaissent de même son travail marqué par la multiplicité des thèmes et des approches et par son apport considérable et inimitable à l’édifice de l’art marocain.
Mais faire une lecture différente de son œuvre est possible, celle qui va au-delà de ce qui est admis. Re-réviser le regard vis-à-vis de son travail. Commençons par visionner une vidéo de la télévision publique espagnole datée de 1963 et d’une durée d’une minute et quart. Elle la montre en deux temps/deux images. Femme peintre habillée en noir à la mode des années soixante, de ce noir d’une modernité éclatante. Puis en femme en habit marocain traditionnel, une Tahtia et une Dfina, appelé maintenant Takchita, le pinceau à la main devant un tableau, ensuite assise sur un pouf versant du thé. Deux images prémonitoires par excellence.
Celle de la femme de chez nous qu’elle ne cessera pas de peindre, de représenter, autrement dit de faire accéder aux hauteurs anoblies de l’art. Elle, dont le destin aristocratique n’augurait en rien qu’elle se maculerait les doigts de peinture et de glaise. Mais la passion déferlante avait agit, aucun échappatoire ne fut possible. Elle est la première femme peintre marocaine à oser l’entreprise de croquer et de colorer la féminité marocaine sans voile. Corps et visage, nantie de ses habits ancestraux ou juste enluminée par un tissu qui épouse les contours. Dans les deux cas, hormis le côté copernicien du fait, le rendu est toujours d’une splendeur poétique recherchée. Mais on serait dans le tort si on se contentait de voir en son art la domination du figuratif, certes évident à priori, car elle le fonctionnalise différemment. Il faut immiscer le regard plus à l’intérieur de chaque œuvre afin de se complaire dans cette différence et la saisir.
À les contempler, on sent émerger des sensations, affleurer des sentiments. Résultat d’une idée de peindre l’émotion et le sens à travers les figures. Par le trait, la couleur, la ligne, en privilégiant l’interaction sujet (peintre/objet) thème et l’interaction unifiant entre le Nord méditerranéen des cimes dont elle issue et le Sud de lumière dont elle est tombée amoureuse en y apportant son regard de l’intérieur, du peintre qui a vu, a senti, avant de porter à la toile le culturel local marocain où seul domine l’ébahissement de l’artiste intégrée, impliquée, qui est au-dedans de son sujet et non extérieure (contrairement à tout orientaliste de l’autre bord).
De ce local qui vous hisse à l’universel. Dans les visages peints des danseuses, des femmes au foyer, des sans fonction donnée…, il n’y a jamais de neutralité plastique, cette captations du trait sans émotion que ce soit d’ordre spirituel ou sensuel. De plus la disposition du nombre ou l’emplacement où l’artiste fait obéir le regard des visages à des intentions diverses. Il s’agit ici de faire valoir l’expressivité pure composée d’une multitude de postures (Tableau d’Ahouach). Le mot est lancé. Il y a la composition heureuse et intentionnée dans l’œuvre de Meriem Mezian. Le mimésis est plus leurre que fidélité au réel.
La preuve en est l’harmonie des couleurs vives, et surtout le mouvement. Si on se laissait à fermer les yeux, cette possibilité de ne se concentrer que sur les couleurs et les formes, on verrait une signifiance couleur/forme dominante. Il y a un tableau que j’aime particulièrement qui porte celle-ci à une hauteur de beauté signifiante, c’est celui des musiciennes habillées de bleu, assises en carrée (disposées plutôt, l’instrument de musique à la main. et celui des femmes drapées de bleu toujours et qui sont debout. Dans les deux cas, le fond est bruni, enflammé. Référence au lieu qui est le désert et qui se présente chez l’artiste comme un lieu plein et nourri. Investi. Des tours et des kasbahs figurent l’éternité de la présence et du non vide.
Figures et couleurs s’interagissent en s’équilibrant livrant un beau qui se dépasse. D’autant plus qu’un élément important accentue cet effet, le mouvement. C’est d’une virtuosité à signaler, ces coups de pinceaux sereins qui restituent la profondeur des étoffes bleues, alignées ou alternées. Rares ceux qui le réussissent avec cette évidence. Donc, l’harmonie coltinée au mouvement. Chez Meriem Meziane et abstraction faite de tout référentiel réel (qui est à saluer d’ailleurs car il est image/signe de notre identité).
Donc, ces deux aspects, à mon humble avis, offrent la dimension esthétique séduisante à un bon nombre de ces œuvres. Il n’y a qu’à admirer ses nus (presque nus, ces autoportraits). L’artiste/femme en elle-même. La présence par l’image peinte relève du courage comme du rendu de l’impression première avancée comme une création pur. Ici, on a la parfaite visualisation de la passion de l’art faisant corps au sens propre du mot avec la femme qui fut Meriem Meziane.
Mbarek Housni*
*Ecrivain et chroniqueur d’art.
Source: Albayane Press