Smail Tirsi
Dans les toiles de Smail Tirsi, il y a de mystérieux personnages, des corps, des visages, têtes de forme ovale, cous étirés, graciles, corps féminins dont on ne voit que les silhouettes chétives. Avec une espèce de halo de ratures qui soulignent les volumes et figurent sans doute un mouvement d'impatience de sortir comme d'une situation inextricable d'oppression de parole. Des traits vifs, comme des coups de canifs, semblent trahir le plaisir jouissif du dessinateur-né qu'est Smaïl Tirsi. Ils auraient en commun l'allure de fraicheur de jeux de graffitis qui happent le regard au détour d'une rue, tracés furtivement par des mains anonymes sur les murs de maisons ou de clôture de terrains vagues des quartiers périphériques de Casablanca. Sauf qu'ici les visages, les corps se reproduisent dans un ressassement tel qu'ils en deviennent des sortes de caractères hiéroglyphiques du langage du peintre.
De temps en temps, quelques objets pointent du museau, surtout des verres.
«Kissane dial attay !» souffle Smail avec une pointe d'humour d'un homme avare de paroles mais pas de bons mots. C'est juste pour un jeu de transparence et la question du vide et du plein, souligne-t-il.
Il y a aussi un fruit biblique, lourd de symboles, une pomme empourprée qui se pavane d'une toile à l'autre. On rappellera que boire et croquer font partie de la vie.
A l'atmosphère inquiétante de silhouettes fuyantes, il faut ajouter la couleur pas rassurante non plus, ce gris déjà cité avec ses différents tons comme figurant les divers degrés de dégradation de la cendre avec comme un goût de brûlé ce qui serait loin de porter aux réjouissances. Lumières et ombres y gagnent pourtant et d'autant plus en intensité.
La dureté de la toile est cependant illuminée un tantinet par quelques touches de couleurs bienveillantes, de l'ocre venu de la terre originaire du peintre au sud de Taroudant flamboyant de soleil. Il y aurait là comme un semblant de sourire, mais sans condescendance, sans complaisance, juste ce qu'il faut pour amortir, atténuer l'intensité d'une violence enfouie.
Devant ces portraits aux orbites vides, aux bouches couturées, d'aucuns peuvent y voir de la dérision, de la satire féroce dans le travail de Tirsi, comme une diatribe contre le monde actuel, contre les violences de toutes sortes matérielles et symbolique qui écrasent les plus vulnérables, des conflits guerriers aux guerres économiques non moins meurtrières. Aussi contre la passivité clownesque, le laisser-faire, la perte d'âme etc. Voilà des justifications d'engagement artistique que Tirsi serait loin de renier. Pour lui, l'art est forcément sous-tendu par un élan éthique, une quête de sens face au désarroi et au chaos. Surtout une arme de sincérité, conçue en petit et non moins efficace contrepouvoir, effilée au gré du travail des touches en progrès. Mais l'art est beaucoup plus complexe avec des cheminements trop impénétrables pour se laisser cantonner nulle part y compris dans la rhétorique militantiste. Rien contre quoi il ne puisse regimber car par définition il ne tient en place.
Ainsi au-delà de la dérision et de la compassion, il y a peut-être juste un travail de peinture qui se traduit par un style en traversant obscurément l'âme et la sensibilité du peintre à l'affût de nouvelles aurores.
«Que je peigne, dit Tirsi, c'est une méditation intérieure personnelle sur la vie avec toutes ses contradictions... quelque chose veut s'exprimer, c'est quelque chose qui me concerne sans nul doute mais sans que je sache ce que c'est. Et cela se traduit par les visages et les corps».
Lauréat de l'Ecole des Beaux-Arts de Casablanca, Smaïl Tirsi vit et travaille dans le quartier populaire Ifrquia de Casablanca situé entre Derb Soltane et Ben Msik.
Source: Maghress